mercredi, 11 novembre 2015 | Tout le monde y passera, 1984-2004
Tout le monde y passera, acrylique, encre, rapidographe et stylo, 40 P (73 x 100 cm), 1984, repris et modifié en 2004.
Dans les vastes contrées de nos cerveaux, m’entends-je méditer devant un de mes rares grands tableaux, on ne se figure que malaisément l’étendue, les dimensions réelles, de nos imaginaires.
Cela se représente davantage dans un espace et sur un support suffisamment grands eux-mêmes. La contrée, dont je n’ai sous les yeux, avec le tableau ci-dessus, qu’un petit pan, est sans limites en vérité, perpétuellement renouvelée qu’elle est, hors champ.
Elle repose ici sur un fond bleu outremer, nocturne ou aquatique (lumière abyssale dans ce dernier cas). Ce fragment de pays comporte plusieurs parties, posées côte à côte et parfois communicantes grâce à des formes transitionnelles assurant la jointure.
Il y a cette énorme bête jaune en haut à gauche, sa gueule aux crocs dehors, s’apprêtant à croquer un poisson hurlant à la mort. Elle occupe presque, à elle seule, un quart de la toile. Sa couleur jaune a quelque chose de maladif. Dans le titre, Tout le monde y passera, le « y », bien sûr, c’est elle… Elle symbolise le monstrueux néant (oxymore ?) qui doit tous nous engloutir un jour. Les nombreux personnages aux formes de loques et lambeaux, en bas, à gauche de la composition ‒ certains d’entre eux, à droite, étant couverts d’un jus rouge pareil à du sang ‒, paraissent attendre, angoissés, leur tour qui est marqué. Ils occupent la moitié basse de l’espace, grouillant de figures de toutes tailles, parfois en miettes.
Parmi les figures ensanglantées, on note un visage, plutôt féminin, portant comme un bonnet phrygien (milieu, à droite, près du bord de la toile). Ces figures rouges empilées semblent constituer les parures d’un torse que surmonte une immense tête, dimensionnée comme la bête jaune, au profil penché, comme sous l’empire d’un accablement, à n’en pas douter celui que ressent ce personnage auréolé d’un nuage de blancheur (Chevelue ? Sans doute une marque de son âge bientôt caduc).
Quelques personnages supplémentaires, plus petits, occupent des espaces intermédiaires, dont une tête à la bouche aux dents verdâtres ‒ signes de mort, et donc de fantôme ? ‒, béante, hurlant d’effroi visiblement. Sa chevelure ‒ si l’on peut qualifier ainsi ces traits bleus semés de taches blanches qui s’étagent de ses yeux jusqu’au sommet d’une autre tête, elle orangée et bizarrement impavide (à droite de laquelle on aperçoit un poignard dont le manche est encore une autre tête) ‒ paraît symboliser ses angoisses mortelles décomposant son visage et s’envolant dans la nuit. Sous sa lèvre inférieure, elle aussi hérissée de pointes, comme des épines ou des poils piquants, une pyramide de boules blanches telles des têtes de mort paraît s’écouler ou se résoudre en nuée, derrière le poisson rouge hurlant à la mort. En haut, au-dessus de la bête jaune, un autre nuage plus grand, où l’on aperçoit quelques personnages schématiques, à peine développés, paraît tendre le poing au bout d’une hampe, ou d’un nez, ou d’un phallus, ou d’un bras à l’extrémité duquel on retrouve un plus petit agrégat des mêmes têtes de mort blanchâtres. Enfin, deux autres personnages en haut, à l’extrême gauche, paraissent, pour l’un (une sorte de cow-boy), fuir la scène de carnage annoncé, et pour l’autre, à la tête verte (de peur ?), lever les bras au ciel, en proie à la plus intense des alarmes…
La bête jaune a le pelage couvert de papillons de nuit, semble-t-il, de boules de chardons, d’épines, de pointes de flèche, de cailloux infimes, de débris divers récoltés au gré de sa ruée sauvage, désordonnée, menée à travers les espaces précédents de cette vaste contrée de mon inconscient.
00:05 Publié dans Grands formats, Peintures | Tags : pays imaginaires, bête féroce, jaune maladif, mort, bonnet phrygien, fantômes, ruée sauvage | Lien permanent | Commentaires (0)